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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/47

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PRÉFACE

reste que l’Église, que l’on dit si intolérante, laisse une très grande liberté à ses enfants fidèles, et leur permet de se mouvoir à l’aise. Les droits de la raison et de la critique sont de tradition chez nous. Bien avant Cappel, qui scandalisa si fort les siens, nous avions eu les Hexaples d’Origène, les éditions critiques des Septante par Lucien et Hésychius. Il faut être du métier, comme on dit, pour se rendre compte de la somme énorme de travail que ces études supposent chez des hommes privés des ressources que nous possédons à présent. Il est, je pense, superflu de prononcer le nom de saint Jérôme. L’Église a toujours senti l’importance de l’étude, des textes originaux, puisque au concile de Vienne elle a prescrit dans les grandes universités la fondation d’une chaire d’hébreu et d’arabe ; le concile de Trente demanda la publication d’une édition critique du texte des Septante, édition donnée par Sixte-Quint ; il avait exprimé aussi le désir d’une édition critique et exacte de l’hébreu. Quoi qu’on puisse dire, les travaux les plus considérables sur la Bible ont été faits par les catholiques. Il suffit d’indiquer en passant la Polyglotte du cardinal Ximénès, qui rappelait le colossal travail d’Origène. On sait que les Concordances, si précieuses pour l’étude du texte, ont été imaginées par le dominicain Hugues de Saint-Cher. Je ne puis mentionner même d’un mot les chefs-d’œuvre, il faudrait un volume. Les Correctoria (indication des variantes et correction des leçons) nous appartiennent ; à nous aussi les études sur les textes originaux ; à nous le plan, les éléments du Thésaurus de Gesenius, qui nous a tout emprunté.

Cette liberté sur le terrain critique, nous la retrouvons sur le terrain de l’interprétation ; l’Église accepte l’école d’Antioche comme celle d’Alexandrie. Néanmoins ce n’est pas dans le sein de l’Église catholique que pouvait se produire la grande révolution de critique rationaliste dont nous voyons se dérouler toutes les phases. On trouvera les principaux détails de cette douloureuse histoire dans les ouvrages de M. Vigouroux ; je me contente de mettre en lumière ce qui nous intéresse davantage dans cette étude.

Au xviii° siècle, les esprits cultivés se livrèrent de préférence à l’étude de la philosophie et des sciences naturelles, et l’on négligea la théologie, jusque-là reine et maîtresse des autres sciences. Déjà la raison avait commencé à se séculariser avec la Renaissance, quand se produisit ce grand mouvement intellectuel qui, bien que partant d’un principe différent, facilita l’action dissolvante du protestantisme. La séparation n’eut lieu que plus tard, mais la raison échappa dès lors en partie à la tutelle de l’Église et se trouva mûre pour l’apostasie finale. La philosophie permettait de s’émanciper, de se soustraire à un contrôle gênant ; elle ouvrait ou paraissait ouvrir des horizons sans fin à l’intelligence émerveillée, enivrée de ses premières découvertes, fière de n’être plus l’humble servante de la théologie, de marcher de pair avec son austère et haute maîtresse. De son côté, l’étude des sciences naturelles avait le grand avantage de donner un libre essor aux facultés humaines, pleine satisfaction à notre insatiable besoin de savoir. Elle avait de plus le grand avantage de ne point procéder par abstractions, par raisonnement à priori, par déductions métaphysiques souvent contestables, de ne pas marcher dans l’inconnu, mais d’éclairer par l’expérience chacun de ses pas.

Il se forma dès lors un courant rationaliste très puissant, qui envahit à son tour le domaine de la théologie et de l’Écriture Sainte. Jusque-là la Bible avait échappé aux attaques ; catholiques et protestants la lisaient à genoux, comme un message de